Le commerce des cailles sur les bords de la Méditerranée

11 mars 2007 at 15 h 32 min

Voici une magnifique gravure signée J. Tinayre, extraite du monde illustré du 29/10/1892. Cette dernière est intitulée « Marseille, Débarquement d’un arrivage de cailles d’Egypte »..


La gravure, remarquable de précision, montre le débarquement sur le quai de Marseille de plusieurs centaines de caisses de cailles vivantes en provenance d’Egypte.
Cette gravure montre l’ampleur quasi industrielle des exportations de cailles, et plus encore, l’ampleur de la consommation de ces oiseaux en France. Encore ne s’agit il que d’un débarquement dans le seul port de Marseille! On devine aisément que de telles exportations d’oiseaux ont pu avoir lieu dans de nombreux autres ports européens et ont probablement concerné plusieurs millions d’oiseaux, et cela plusieurs dizaines d’années durant.
Gebwiller estime qu’au 19eme siècle, ce sont près de 9 millions d’oiseaux qui sont capturés et exportés annuellement par l’Egypte vers différents pays. Malgré une baisse des effectifs, trois millions d’oiseaux sont encore capturés dans ce pays, puis exportés en 1920. Un auteur relève encore en 1956 l’envoi de 350 000 cailles en provenance d’Egypte, et encore, il ne s’agit que des oiseaux à destination de la France!
Joseph Oberthur fait référence dans l’un de ses textes à ces cailles importées d’Egypte:
« Beaucoup de gens n’ont jamais mangé d’autres cailles que celles, de provenance égyptienne, qui nous arrivent en caisses après avoir été engraissées artificiellement. Elles sont souvent amères et n’ont aucune des qualités de délicatesse qu’on trouve chez nos belles petites cailles de vigne, si grassouillettes qu’elles laissent une tâche graisseuse dans la poche du carnier. »
Les captures de cailles sont telles qu’elles entraînent vers 1920 la disparition des migrations de cailles, autrefois décrites dans la bible, à proximité de la mer rouge.
La capture de centaines de milliers d’oiseaux sauvages en Egypte (la vallée du Nil est une importante veine de migration) est elle liée à la baisse en France des effectifs de caille des blés, signalée par plusieurs auteurs cynégétiques de l’époque? Difficile de l’affirmer, car les cailles Égyptiennes migrent en Italie et dans les pays avoisinants, et ne concernent pas, à priori, la France (les cailles françaises arrivent par le détroit de Gibraltar, puis franchissent les pyrénées). On peut imaginer néanmoins que de tels trafics d’oiseaux ont existé dans plusieurs autres pays du Maghreb, et ont concerné les effectifs résidant en France, expliquant en partie une première baisse du nombre de cailles entre la fin du 19eme siècle et la fin des années 30.

Les captures de cailles ne se limitent pas toutefois au seuls pays du maghreb. Lors de leurs migrations, les oiseaux voyagent au dessus de la méditerranée et se posent en masse sur certains îlots (Île de Délos, Chypre, Sardaigne…) qui leur servent d’étape. Les oiseaux sont dans un tel état d’épuisement qu’ils se laissent capturer à la main.
A .Toussenel écrit à ce sujet dans « Le Monde des oiseaux »:
« Dans certaines îles de l’archipel et sur certaines côtes du Péloponnèse, les habitants, hommes et femmes, n’ont pas d’autre industrie pendant deux mois de l’année que de ramasser les cailles qui leur pleuvent du ciel, de les plumer, de les vider, de les saler et de les encaquer dans des barils pour les expédier ensuite dans tous les grands centres de consommation du levant; c’est à dire que le passage des cailles est pour cette partie de la Grèce ce que les passages des harengs est pour la Hollande et l’écosse. Les tendeurs de cailles arrivent sur la plage une quinzaine de jours à l’avance, et numérotent leurs places pour éviter les contestations. »
Gaston Rambaud relève qu’à Naples en 1830, 150 000 oiseaux ont été capturés au moyen de filets, et encore 56 000 en 1897.
Les revenus générés par la capture des cailles sont tels qu’ils sont l’objet d’impôts! A. Toussenel rapporte que l’évêque de Capri (un îlot au large du sud de l’Italie) avait eu l’idée de lever un impôt sur la capture et le commerce des cailles dans l’île. Ce dernier percevait jusqu’à 25000 francs de revenus annuel (soit l’équivalent de 150 000 cailles capturées). En raison de cet impôt, ce dernier avait même hérité du surnom d’évêque des cailles…
Selon Elzear Blaze, les cailles étaient capturées de la même façon sur les côtes de Provence jusqu’à ce que ce type de chasse soit finalement interdit à partir de 1840.

A cela s’ajoute la prédation naturelle, les actes de braconnage (voir article « Braconnage sur l’îlot des Freirets » dans cette même rubrique) et les prélèvements « traditionnels » destinés à une consommation locale (voir également article: « La chasse aux cailles sur la côte de Syrie » dans cette rubrique).
Face à de tels prélèvement, ont peut s’étonner du fait que l’espèce ait survécu.
André Toussenel conclut très justement à propos des captures de cailles: « Cette espèce est probablement la plus féconde de toutes les espèces volatiles, et il ne lui fallait pas moins que sa fécondité extraordinaire pour résister à la guerre d’extermination que lui ont déclaré tous les peuples civilisés et tous les oiseaux de proie de la terre. »