Petite Histoire du chien d’arrêt

14 mars 2007 at 11 h 20 min

« Le chien d’arrêt est sans contredit la plus magnifique de toutes les créations de l’esprit humain; c’est ici que l’homme à vraiment crée après dieu. »
A. Toussenel

Pour définir le chien d’arrêt, on peut reprendre cette citation de Paul Megnin : « Le chien d’arrêt est le chien de chasse qui quête en silence en aspirant l’air, tête levée, les émanations du gibier, et qui, lorsqu’il rencontre, s’arrête immobile, dans une position et avec des frémissements de queue particuliers qui sont un vrai langage pour le chasseur, à qui ils indiquent, non seulement l’endroit ou le gibier est blotti, mais même l’espèce à laquelle il appartient. »

 

La période antique

Il semble que les chiens d’arrêts n’existaient pas dans l’antiquité. On prenait en effet à cette époque les oiseaux au moyen de filets, de lacets et de glu. Malgré les affirmations de certains auteurs, qui s’appuient le plus souvent sur des textes mal traduits, aucun texte antique n’y fait référence.
On a cru, plus tard, voir mention de chien d’oysel dans le capitulaire de Dagobert (VIIeme siècle) dans la phrase « que celui qui à tué un chien de chasse dit hapichunt compose avec trois sous plus son semblable ». Le mot hapichunt à été parfois traduit improprement comme signifiant chien d’arrêt, alors que le mot « hapich » signifie en réalité faucon. Il s’agit donc du chien des fauconniers, et non pas d’un chien couchant.

L’homme a probablement remarqué les aptitudes embryonnaires à l’arrêt qui existaient naturellement chez certains chiens. Il les à progressivement développées, puis fixées grâce au dressage, et à une sélection et une utilisation constante.
Certains textes antiques vont dans ce sens, et font référence, non pas à des chiens d’arrêts en tant que tels, mais à des limiers semblant posséder ces aptitudes embryonnaires -cf. Gratius Faliscus (1); et Pline l’Ancien (2)-.

 

Une apparition tardive de la fin du moyen âge?

Selon Arkwright, le chien d’arrêt est une création du moyen âge. Ce dernier fixe son apparition vers le 12eme siècle. Il se base pour cela sur les premiers documents mentionnant l’utilisation de chiens spécifiques pour la chasse des oiseaux.
Pour Jean Castaing (3) en revanche, les premiers véritables chiens d’arrêt, au sens ou nous l’entendons aujourd’hui, n’ont véritablement commencés à être fixés que trois à quatre siècles plus tard (15eme et 16eme siècle), c’est à dire au début de l’époque moderne.

Certains textes semblent en effet aller dans le sens d’une apparition relativement tardive du chien d’arrêt.
Dans cet extrait du « Ménagier de Paris » (publié en 1393), il est écrit:
« Premièrement, qui veult avoir bon déduit de l’esprevier, il est nécessité que assez tost après Pasques l’espreveteur se garnisse d’espaignols et qu’il les maine souvent aux champs quérir les cailles et les perdris… Et est assavoir que tous espaignols qui sont bons pour la chace du lièvre ne sont pas bons pour le déduit de l’esprevier, car ceux qui sont bons pour le lièvre queurent après et le chassent, et quand ils l’atteignent, le mordent, arrestent et tuent, se à ce sont duîs; et autel pourraient-ils faire à l’esprevier. Et pour ce, ceux qui savent bien trouver les perdris et la caille ne queurent point après l’esprevier, ou s’ils y vont, si sont-ils si duis que tantost qu’ils voient que l’esprevier a liée et abattue la perdris ou autre oisel et la tient sous lui, s’arrestent et ne s’approchent, iceulx espaignols sont bons, et les autres non. »
L’auteur fait allusion dans ce texte à des chiens « espaignols » servant encore de chien courant pour la chasse du lièvre vers la fin du 14eme siècle. Cela montre que, même à cette époque relativement tardive, tous les épagneuls n’étaient encore totalement spécialisés sur la chasse des oiseaux.
Même ceux qui semblent destinés à la recherche des cailles et des perdrix ne sont pas des chiens d’arrêt: ils ont encore pour mission essentielle de mettre à l’essor les oiseaux, et de ne pas se jeter sur le faucon, une fois que ce dernier se trouve au sol avec sa proie.
Ce dernier point introduit une idée particulièrement importante: il permet de déduire les critères de sélection sur lesquels les intendants des seigneurs de la fin du moyen âge ont sélectionné, consciemment ou inconsciemment, leurs chiens: un caractère moins agressif et impulsif que celui des chiens courants, et une meilleure dressabilité. le chien ne doit pas s’approcher du faucon qui maintient la caille ou la perdrix au sol, ce qui suppose un dressage.
Cette capacité au dressage suppose elle même des chiens plus proches de leur maître, et donc plus affectueux.

 

Détail fresque Italienne, vers 1400 , château Buonconsiglio, Trente, Italie

La fresque italienne ci-dessus semble confirmer que la frontière entre les chiens courants et les chiens d’arrêt n’était pas aussi nette qu’aujourd’hui, même au début du 15eme siècle. On peut y voir deux chiens, au pelage brun pour l’un, et blanc pour le second, pister le nez sur le sol, à la façon de deux limiers, des perdrix qui semblent fuir devant eux. Une attitude qui se situe bien loin de celle de nos chiens d’arrêts actuels…

 

Une création du sud de l’Europe

Pour Jean Castaing, le chien d’arrêt serait une invention du sud de l’Europe. Les seuls textes concernant ce type de chiens se trouvent en effet dans des ouvrages Italiens, Français, et Espagnols. Il s’appuie notamment sur les écrits de plusieurs auteurs : Brunetto Latini, dès 1260, parle de chiens destinés à chasser les oiseaux, Albert Le Grand (13eme siècle) décrit dans « De animalibus » comment on apprenait en Italie aux chiens couchants à tourner autour des perdrix. Gaston Phoebus les décrit également au 14eme siècle.

Enluminure représentant un groupe de chiens d’oysel, extraite du « Livre de chasse » de Gaston Phoebus, rédigé vers 1389

Le naturaliste Suisse Gesner parle en 1551 de chiens de cailles utilisés en France. On peut citer également le naturaliste Français Pierre Belon. Ce dernier décrit dans son livre « Histoire de la nature des oyseaux « , publié en 1555 des chiens d’arrêt utilisés sur cailles (4).

 Magnifique gravure en couleur représentant le fameux chien Espagnol (canis hispanicus), ancêtre de tous les épagneuls actuels, par Ulisse Aldrovandi (vers 1550). Certains auteurs envisagent la possibilité qu’il ne s’agirait pas de chiens en provenance d’Espagne (comme semble le suggérer Gaston phoebus), mais plutôt d’une déformation des termes « s’espanir « ou « s’espaignir » (se coucher), qui aurait fini par donner au final le mot actuel « Épagneul ».

Ces ouvrages permettent de cartographier la zone d’apparition du chien d’arrêt, qui comprend le sud-ouest de la France, L’Italie et l ‘Espagne. En se basant sur le gibier naturellement présent sur ces zones, ont peut essayer de déduire sur quels type de gibier les premiers chiens d’arrêt ont été utilisés: perdrix rouges et cailles des blés majoritairement, et dans une bien moindre proportion la perdrix grise, présente uniquement sur les zones montagneuses d’Italie d’Espagne ou de France (Pyrénées).
Les « chiens d’oysel » étaient dressés de façon à se coucher en présence des cailles ou des perdrix (le terme « chien couchant » est également employé pour les désigner). On lançait ensuite un grand filet, qui recouvrait le chien et les oiseaux se trouvant devant lui. Il ne restait plus alors qu’à les capturer à la main, ces derniers étant empêtrés dans les mailles du filet.

Magnifique gravure attribuée à Joseph Stradanus (Bruges, 1523 – Florence, 1605) et extraite de l’ouvrage ‘Venationes ferarum, auium, piscium. Pugnae bestiariorum: et mutuae bestiarum », publié en 1578. Elle représente une scène de chasse à la caille au moyen de filets et chiens d’arrêt.

 

Chasse au filet tirasse à caille

Gravure du 19ème siècle représentant une scène de chasse au chien d’arrêt, au moyen de filets. Si l’on compare les deux gravures ci-dessus on constate que ce mode de chasse n’a que peu ou pas évolué entre le début du 16ème siècle, et la fin du 19ème siècle, ou il était toujours usité.

Dans certains pays, cette pratique continue encore d’être utilisée comme le montrent les deux vidéo ci-dessous :

Ces dernières ont été tournées vers 2011 au Pakistan, pays ou la caille des blés est également présente. Il n’y a probablement pas de grandes différences entre la façon dont les hommes opèrent sur la vidéo, et celle des chasseurs au filet du moyen âge.

 

Étymologie

L’appellation « chien d’oysel », n’est pas sans poser de problèmes. En effet, ce terme englobe indifféremment dans les textes médiévaux l’ensemble des chiens utilisés pour la chasse des oiseaux.
Or, les chiens utilisés pour la fauconnerie (qui sont également dénommés chiens d’oysel) n’avaient pas nécessairement l’instinct de l’arrêt. Ces derniers se contentaient de poursuivre le gibier pour le faire lever, afin qu’il soit capturé par les faucons (un peu à la façon des Springers actuels).
Gaston Phoebus dans son livre de la chasse, prend d’ailleurs soin de distinguer les chiens d’oysel, servant à lever le gibier devant les oiseaux de proie, de ceux auxquels on « apprend à être couchant. ».
Le fait de se coucher en présence du gibier est donc bien le résultat d’un dressage, qui a probablement fini par devenir atavique au fil des siècles.

L’étymologie du mot chien d’arrêt semble elle-même venir directement de ce mode de chasse au moyen de filets. Le terme chien d’oiseau utilisé pour la chasse au filet se traduit en effet en Italien par « Cane de rete », et « chien de retz » en français. Le terme actuel de chien d’arrêt n’a été utilisé qu’à partir du 18eme siècle pour désigner des braques ou des épagneuls. Il ne serait donc qu’une déformation phonétique des ces expressions, et ne viendrait pas de la fonction (arrêter le gibier) comme on aurait pu le croire.

 

Le développement et le perfectionnement du chien d’arrêt (16e siècle à nos jours)

Les chiens d’arrêt semblent s’être largement répandus en France dès le 16eme siècle. Plusieurs ordonnances royales (La première fut rédigée en 1578, rapidement suivie de plusieurs autres publiées successivement en 1600,1601,1607 et 1669) émanant de Henri III, Henri IV , Louis XIII, et Louis XIV en réglementent sévèrement l’utilisation, ces derniers étant jugés trop meurtriers. Les chiens d’arrêts demeureront l’apanage exclusif des rois (5) , des princes, et de quelques privilégiés, jusqu’à la révolution française, moment à partir duquel leur usage sera toléré.
Les progrès du chien d’arrêt semblent être allés de pair, au cours des siècles suivants, avec ceux de l’armement.
L’arquebuse (l’ancêtre de nos fusils actuels) fut crée vers le début du 16eme siècle. A ses débuts, elle ne permettait de tirer les oiseaux que posés. Il fallut attendre d’une part son allègement (fin 16ème siècle), mais aussi l’invention du fusil à silex, et surtout de la grenaille (1630) pour pouvoir tirer les premiers oiseaux au vol. Rappelons qu’avant cette époque on ne tirait qu’à balle.
Jean Castaing estime que c’est vers cette période que l’on à commencé à « retenir », par le biais du dressage, les chiens au moment de l’essor du gibier. La poursuite du gibier était en effet devenue nuisible au tir (gêne pour le chasseur, ou risque de blessure du chien).

Le coût de ces armes est tel qu’elles resteront longtemps l’apanage de la noblesse et de la bourgeoisie. La tradition de la chasse aux filets et l’utilisation de chiens « couchants » s’est maintenue dans les milieux populaires plusieurs siècles durant. L’interdiction de la chasse au filet, à partir de 1842, et la démocratisation progressive du fusil au cours du 19eme siècle conduiront à sa disparition progressive. Elle s’est en réalité poursuivie sous forme de braconnage jusque vers la fin du 19eme siècle, voire jusqu’à la première moitié du 20eme siècle comme semblent le suggérer plusieurs auteurs cynégétiques .

L’expansion de la chasse à tir vers la fin du 19eme siècle, coïncide également avec la fixation de la plupart des races actuelles de chien d’arrêt. Ces dernières ne sont pas, dans la plupart des cas, des créations pures. Les éleveurs ont souvent repris, en les améliorant, de vieilles souches régionales qui existaient déjà, et fixé un standard officiel. C’est vers cette même époque que seront implantés en France les premiers Field trial (- le premier a eu lieu a Esclimont en 1888), destinés à sélectionner les meilleurs reproducteurs sur la base de leurs aptitudes au travail (ces derniers avaient été crées en Angleterre quelques décennies plus tôt).

(1) Gratius Faliscus, « Cynégétiques », « (De même était le chien métagon) »qui tombe sur sa proie en silence, évente un animal sauvage au gîte et décèle sa présence cachée par son attitude, il manifestera sa joie en remuant doucement sa queue, ou, grattant la terre avec ses pattes. »

(2) Pline l’ancien, « Zoologie », Livre VIII, LXI 40, « S’ils voient le gibier, quel silence, et quelle circonspection, en même temps quelle expression dans le mouvement de leur queue et de leur museau! Vieux, aveugles, perclus, ils rendent encore des services, on les porte dans les bras, ils éventent le gibier et indiquent sa retraite »
(3) Jean Castaing, « Les chiens d’arrêt », Éditions du Message Berne, 1960
(4) Pierre Belon « Histoire de la nature des oyseaux « , publié en 1555: « C’est ce que l’on a aprin à un chien de les sçavoir cognoistre et soudain qu’il a senty la caille, il s’arreste tout court. Les chasseurs ont un rets large nommé une tirasse, laquelle ils desployent, et vont l’un deça et l’autre dela: dont ils couvrent le chien et la caille, et par ce moyen demeure prinse ».
(5) Louis XIV était lui même un grand amateur de chiens d’arrêt et affectionnait tout particulièrement les épagneuls. Ce dernier à d’ailleurs fait représenter les portraits de plusieurs de ses chiens par le peintre A.Desportes

Jean-Luc Bayrou