Georges Clemenceau

15 juin 2007 at 21 h 25 min

Georges Benjamin Clemenceau (1841-1829) était un journaliste, écrivain et homme politique français.

Portrait de Georges Clemenceau

Il fut successivement député, président du conseil, ministre de l’intérieur. Il créera d’ailleurs les célèbres « brigades du tigre » (son surnom à l’assemblée nationale, et embryon de la future Police judiciaire Française). Ce dernier a également exercé les fonctions de ministre de la guerre pendant la première guerre mondiale, et fut l’un des principaux artisans de la victoire Française, ce qui lui valut le surnom de « père la victoire ».
On peut s’étonner de la présence du grand homme, surtout connu pour sa brillante carrière politique, dans cette rubrique consacrée aux anecdotes de chasse. C’est oublier que ce dernier était également un journaliste et un écrivain de talent, chasseur à ses heures.
En 1893, Clemenceau, battu aux élections législatives du Var, connait une traversée du désert de quelques années. Il mettra à profit ce passage à vide politique pour reprendre ses activités de journaliste et d’écrivain.
Le texte ci-dessous a été publié durant cette période, en 1896, dans « Le grand Pan » et relate une partie de chasse en Provence.
« Marignane est un joli village du canton des Martigues, près de l’étang de Berre. (…) En allant faire campagne pour Camille Pelletan, je m’étais fait des amis dans ce coin de soleil. L’un d’eux, qui vit encore, j’espère bien, s’appelait Dupin, dit le Terrible. Ce Terrible, homme excellent qui cachait sa douceur au plus épais d’une barbe enflammée, avait un gendre armurier à Marseille, homme de sport. Nous causons fusil, et me voila invité à venir chasser dans la caillère vaste étendue d’herbages piquée de poteaux au sommet desquels, dans une petite cage, une caille aveugle invite ses camarades à une périlleuse causerie.
-Combien faut-il de cartouches? Demandai-je.
-Trois cents, fit l’homme du midi, d’un ton tranquille.
Au jour dit, j’arrive de Paris avec mes trois cent cartouches et mon chien.
Dès le petit jour, nous sommes en route. On cause le long du chemin.
-Ainsi je vais tirer mes trois cent cartouches.
-Je ne dis pas cela, fit l’autre, mais nous tuerions cent cailles que je n’en serais pas surpris.
Nous étions douze. Je me mis à calculer combien cela m’en ferait pour ma part.
Survint un autre chasseur.
-Le vent n’est pas bon…Enfin, une cinquantaine, ce n’est pas beaucoup.
Assez déconfit, je recommençai mon calcul.
-Qui sait, fit une autre voix, nous en trouverons, peut être…
Il fallait voir ma figure.
Nous arrivions à la porte de la caillère. Pendant qu’on ouvrait la barrière, un cri: « Tirez! Tirez! Tirez donc! » C’est à moi qu’on s’adresse. J’ai mon fusil en main, je regarde partout, je ne vois rien.

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Tout le monde me crie de tirer. J’écarquille les yeux. Vains efforts. Dix coups de fusil éclatent en même temps. Sur le fil de fer du télégraphe une hirondelle était perchée. Vous devinez son destin.
Enfin la chasse commence… Au bout de quatre heures, je n’avais pas vu un papillon.
Tout à coup, à l’entrée d’un bosquet, une table merveilleusement servie. Tous les fruits du Midi, la plus belle eau des fontaines, de la glace, du gibier enfin… mais cuit… Il faudrait toute une chronique pour dire cette étonnante lippée.
Le dessert finissait. On allumait les cigares. Un coup de fusil, je me retourne. Une assiette lancée par un chasseur volait en éclat au-dessus de ma tête. Une autre suivit, puis une bouteille, puis un verre, puis dix. Tout ce qui se trouvait sur la table y passa. Je n’ai pas souvenir d’une aussi belle pétarade.
Etendu sur l’herbe, au frais, je jouissais du ciel bleu. Quand il ne resta plus rien, on vint me dire qu’on se remettait en chasse. Mais je me trouvais bien. Je déclarai que je ne bougeais plus. Voila mes gens partis, puis revenus au bout d’un quart d’heure. Ils ont trouvé une caille. Il faut que je la tue. Je vais à l’endroit indiqué. Mon chien tombe à l’arrêt, et, le coup parti, va chercher la bête. Ce fut un triomphe, un délire, une fête de tout le jour.
Le lendemain les journaux de Marseille annonçaient que j’avais fait un massacre de cailles, et célébraient hyperboliquement mon adresse.
(…) Mais je n’ai pas fini mon histoire.
Deux ans après, l’armurier de Marseille, le gendre de Terrible, m’apprit confidentiellement que la caille de Marignane, dont j’étais si fier, était un appelant aveugle qu’on avait ôté de sa cage pour m’empêcher de rentrer bredouille.
Midi! Midi! Voila de tes coups! »