La caille au marais desséché

15 juin 2007 at 21 h 20 min

Voici une histoire de chasse savoureuse et étrange, comme on les aime… Elle a été publiée dans la revue « Le saint Hubert » en mars 1947, sous le titre « La caille au marais desséché » (C. Aubert). Elle relate une étonnante partie de chasse à la caille dans un marais.
(…) Il y a quelques années, il avait fait une sècheresse et une chaleur horribles. Pas une seule caille dans une région où elles sont communes par temps frais et humide; mais en revanche un ami m’en avait signalé dans un marais et m’avait invité à y venir faire l’ouverture.
L’emplacement de ce marais fort long mais étroit et à proximité de villages ne permet guère que l’on y chasse avant l’ouverture, car on y est trop en vue.
Le matin de l’ouverture, au petit jour, nous nous dirigeâmes donc vers le marais; nous n’étions pas seuls à savoir qu’il y avait des cailles, car devant et derrière nous ce n’étaient que chasseurs. Quelques coups de fusil ne tardèrent pas à se faire entendre. Les chasseurs criaient, des chiens hurlaient. Sur cet étroit terrain de chasse on ne comptait pas moins de cent cinquante tireurs, chasseurs de tout rang, de tout âge, tous ceux du pays et tous ceux d’alentour, jusqu’au curé de la commune voisine.
C’était le cas de dire que là le gibier était considéré comme res nullius ; mon chien leva un râle par mes pieds, il tomba mort avant que j’eusse levé mon fusil; un peu surpris de cette façon d’agir je continuai sans dire mot. Un peu plus loin quelques chasseurs cherchaient une caille que l’un d’eux venait de tirer; mon chien en trouva une en effet et me la rapporta. De temps en temps une bécassine partait, saluée d’un nombre insensé de coups de fusil! Un ou deux chasseurs et autant de chiens avaient déjà reçu des plombs.

gravure caille louis de la jarrige

Cependant nous ne faisions pas grand-chose ni les uns ni les autres et pourtant les chiens trouvaient. Par-ci par-là, mais rarement, une caille se levait et allait se remiser au fourré dans des marais non fauchés et garnis de roseaux où un chien, puis deux et bientôt quatre et cinq, ne pouvaient l’arrêter ou la relever.
Je m’éloignai un peu du gros des chasseurs pour observer mon chien, qui rencontra plusieurs fois, arrêta quelque peu, mais il ne partit jamais rien.
Je ralliai les chasseurs; une caille se levant d’elle-même alla se remiser à vingt cinq mètres dans du regain haut à peine de vingt centimètres; j’appelai vivement quelques chasseurs. Neuf d’entre eux arrivèrent et nous marchâmes à la remise en rang serré, foulant, piétinant le sol de nos larges semelles. Nous eûmes beau battre le terrain en tous sens, les chiens quêtant de leur côté, rien ne se leva.
Abandonnant mes compagnons, je gagnai une prairie récemment fauchée. Mon chien tomba à l’arrêt dans un endroit absolument dénudé.
Il était ferme sur une large crevasse occasionnée par la sècheresse. Comme à son attitude je savais qu’il ne s’agissait pas d’une bête malfaisante, j’introduisis ma main dans la crevasse.
J’en retirai une caille pleine de vie. Les cailles, terrorisées par cette avalanche de chasseurs et de chiens se terraient. (…)
Depuis cette ouverture mémorable j’ai été invité plusieurs fois à faire l’ouverture dans ce marais; il va sans dire que chaque fois j’ai pris la tangente; on tient toujours un peu à sa peau et à celle de son chien… Même quand elles n’ont pas grande valeur!»
C.Aubert