Cailles fantômes
Si l’on en croit certains auteurs cynégétiques, la caille est un gibier facile, que le bon chasseur (sous entendu, le bon tireur) se doit de tuer quasi-systématiquement. Seulement voila, dans la réalité, une caille ça peut très bien se manquer…
Voici une anecdote savoureuse racontée par Jean de Witt (1) ou il est question d’honneur à sauver et surtout d’orgueil…
« Il y a dix ans, je chassais dans la plaine de Monheurt (2), soudain j’entendis claquer deux coups de feu à cent mètres de moi. Une caille venait d’être tirée et manquée par un brave homme que je connaissais bien et qui était particulièrement vantard quant aux méthodes qu’il employait pour « ajuster » le gibier. Or donc, la caille était manquée. Je vis mon chasseur se mettre en grande course, s’arrêter au bout de trente mètres, se pencher comme pour ramasser quelque chose… Mais il ne ramassa rien… Il souffla puissamment dans ses mains jointes pour gonfler les plumes illusoires d’une caille inexistante, après quoi, il mit ce néant dans « la carnassière » à double feuille assez cérémonieusement et, se servant de ses mains comme d’un amplificateur, je l’entendis crier dans le lointain triomphalement: « Boudiou, qu’elle est grasse! » Puis il s’éloigna satisfait; son amour propre était sauvegardé. »
(1)Jean de Witt, Gibiers, Editions de la toison d’or, 1950, P.34
(2)Monheurt est un petit village situé dans le Lot et Garonne
Voici une anecdote personnelle sur le même thème, survenue quelques décennies plus tard.
Elle illustre un autre pêché: l’envie…
Il y a une vingtaine d’année environ, mon père chassait dans un excellent chaume à caille, non loin de la ferme familiale. Il avait emmené avec lui Rod, un braque allemand particulièrement doué. Les arrêts et les tirs s’enchainaient depuis presque une heure déjà lorsque, attiré par le bruit des coups de fusil, G. un chasseur du village voisin, se rapprocha. Le chaume n’étant pas immense, il n’y avait pas de place pour deux chasseurs… Aussi, notre homme vint se poster à l’entrée du champ, attendant son tour avec impatience.
Mais le temps passait, et mon père, qui n’en finissait pas de lever des cailles, ne semblait pas décidé à partir.
Fatigué d’attendre, G. finit par se diriger en compagnie de ses deux chiens vers le champ voisin ou il commença aussitôt à chasser.
Quelques minutes après, notre homme se mit à enchainer les tirs les un après les autres. Intrigué par cette soudaine réussite, mon père observa son concurrent avec davantage d’attention… Détail étrange: les chiens de ce dernier ne prenaient jamais de pose d’arrêt. Il vit également que malgré les bruyants commandement «Apporte ! » lancés dans leur direction après chaque salve, aucun ne bougeait. Mon père finit par réaliser que notre homme tirait des salves de coups de fusil au hasard, afin de faire croire que le chaume ou il se trouvait était infesté de cailles. Une manuvre destinée à attirer mon père vers le champ voisin, afin de le déloger, puis de lui ravir sa place…
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